dimanche 27 septembre 2009

L’œil libre de Pierre Denan


Pierre Denan ne souhaite pas faire l’objet d’un entretien classique. Il est vrai que sa parole se trouve toute entière dans son travail, en particulier dans Libre. Ce texte au paragraphe unique de 100 000 signes commence tout en haut de la première pour ne se termine qu’au dernier centimètre du dernier feuillet, comme si le monde y entrait et en sortait, sans qu’on puisse en changer quoi que ce soit.

 Libre est un extrait brut et râpeux de notre réalité, un espace dans lequel se bousculent des images observées par un œil fixe, celui de Pierre Denan. A travers un protocole éditorial rigide agit un ouragan de phrases à la première personne, zapping infini, actions dérisoires, sexualité calibrée, actualité apocalyptique, spin-off visuels…

Le texte est une lave qui coule, peut-être par delà le bien et le mal, en tout cas notre idéalisme ne trouve pas de salut devant cette parole impie, parfois paranoïaque, souvent haletante.

Que pouvons-nous bien faire avec ce débordement, cette dévoration ? Le tumulte est pourtant ceinturé, enfermé dans une forme élégante, livret bien façonné et photo de couverture impeccable. Dans le récit que construit Pierre Denan, l’homme est un guerrier sexué, mondain, altier qui s’enivre de la folie du monde, mais l’œil de l’artiste veille, consigne, met en page, tranquillement pourrait-on dire…

 Libre paraît toutes les fins d’années, le nouveau numéro marque la disparition de l’ancien. Pierre Denan nous interdit de garder l’objet que nous possédons et nous ordonne de jeter Libre à la fin de la lecture. Le désir de préservation est encore un rêve évacué dans la pratique de cet artiste pour le moins insaisissable.

Le nihilisme assumé n’empêche pas une réflexion politique. Car si la lecture de Libre peut devenir angoissante par son absence totale de bouée métaphysique, elle est néanmoins stimulante, parce qu’elle nous réunit autour d’une pratique exorciste qui communique ce sentiment trouble : la frustration face à la difficulté de représenter le monde, et donc de le concevoir, de lui donner du sens.

 Ami d’artistes connus, Pierre Denan, côtoie le haut du pavé en matière d’art contemporain, sirote de l’Absolut Vodka bien frappée dans des bars d’hôtels chics et invente une manière d’être, peut-être une pose, mais qui jamais ne se vêt d’arrogance. Sa future performance, minimale, sera manifeste d’une certaine finasserie observante, et se déroulera à Toulouse le 20 mai prochain où des joueurs de foot seront physiquement présents. L’action sera documentée par le film de la performance, exposé tout au long de l’exposition.

 Pierre Denan, au statut indéfini, complexe, apparaît tel un perturbateur actif, comme une pellicule sensible de nos nécroses bourgeoises, dans lesquelles il peut se fondre, bercé par elles mais jamais dupe.

Son œil incisif, précis, montre, que le garçon peut jouir de la luxure disponible, de la gourmandise mondaine, tout en pointant l’absence de production signifiante de notre société.

Cet œil invisible et troublant brille à travers Libre mais aussi au travers des publications du très actif M19* (Mouvement fondé par Pierre Denan, qui diffuse une collection de livres d’artistes et la revue MAP, diffusée elle aussi gratuitement).

Article paru sur Paris Art

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